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L'œil et la main…

Les œuvres de Bogumila Strojna surprennent les visiteurs à plus d'un titre. Elles déroutent par les légers décalages qui s'y donnent à voir. Les figures géométriques comme le carré et le cube énoncent leurs principes et déploient leurs avatars. Les matériaux usinés les plus familiers, à l'instar de la barre de fer, du tube de plastique, de la plaque de bois, sont détournés de leur fonction pour procurer des émotions. Placées à l'intérieur d'un espace bâti ou disposées dans l'environnement urbain ces sculptures, malgré ou à cause de leur taille réduite, entament de féconds dialogues tant avec l'architecture qu'avec la nature.

Les diverses créations de cette artiste sont chargées de fructueuses contractions. Elles sont à la fois ouvertes et fermées, vides et pleines, construites et pourtant naturellement vivantes. Chacune propose une expérience visuelle élaborée à partir d'un agencement de formes. Cependant tout formalisme est évité au profit d'une entrée dans différents univers poétiques.
Il y a lieu de remarquer l'importance des matériaux ready made et particulièrement la présence des gaines de plastiques colorés. Choisis pour leurs forts effets visuels, ces matériaux industriels sont mis en œuvre de manière artisanale. Dans une installation récente (septembre 2008), dans un jardin du 11e arrondissement, les tubes de plastique rouge étaient tressés pour former un tricot géant posé sur le vert du gazon pour le régal des yeux et la surprise des promeneurs. Certes le tube annelé initialement a été conçu comme un matériel technique, mais ce n'est pas cette fonction qui saute aux yeux du plasticien, ce sont toutes ses potentialités formelles et surtout cette couleur produite industriellement. Le matériau importé avec sa couleur fait directement réagir l'environnement. Ses diverses qualités apparaissent par le contraste avec le vert de l'herbe. Ce choix de "la couleur importée" (ou "ready made color" comme l'ont baptisée Antoine Perrot et Claude Briand-Picard) n'est pas systématique chez Bogumila Strojna ; dans certains travaux comme Étreinte, 2007 elle continue à utiliser la couleur (encore le rouge) de manière traditionnelle : la peinture sert alors à recouvrir les matériaux. Pourtant cet emploi de matériaux bruts, assemblés dans leur "jus", semble se généraliser et constituer une avancée significative dans les créations récentes : la couleur n'est plus rajoutée, elle est présente parce qu'elle appartient intimement aux matériaux (oui – mais non / non – mai oui, 2006). Le tube est rouge comme l'herbe est verte, le bois brun clair et la barre de fer gris foncé. Quelle soit peinte ou intrinsèque la couleur renforce la spatialisation et l'érotisation des éléments sculpturaux. L'art concret n'est pas froid.
Dans d'autres productions de Bogumila Strojna les jeux d'opposition s'établissent entre la transparence et la souplesse des tubes plastiques et la rigide opacité des structures métalliques qu'ils prolongent. Les choses vont souvent, comme le signalait le titre d'une œuvre de 2005, "contrairement aux apparences" : le rigide s'assouplit tandis que le souple gagne en tension. Les créations plastiques de cette artiste nous obligent à ouvrir les yeux sur les qualités tactiles des choses, les formes, les couleurs et la malléabilité des matériaux. Son œil a su voir les potentialités et sa main, conduite par un esprit ingénieux, a façonné les différents éléments afin que les spectateurs les perçoivent autrement. Ce regard "autre" permet l'ouverture sur l'imaginaire. On s'arrête devant une création et on rêve, c'est à dire que l'on établit des associations dont les significations vont au delà de ce que le langage permet de formuler. Tout l'art de Bogumila Strojna est, avec des figures simples et des matériaux ordinaires, de mettre l'œil en appétit et le verbe en déroute.

Jean Claude Le Gouic, mars 2009

 

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